Chapitre 103 – Remèdes
L’Église des Tempêtes aurait enfin pris des mesures contre le Port de Bansy ?
Klein porta son poing à sa bouche, toussa et demanda calmement, sans aucun état d’âme :
– « Que s’est-il passé ? »
Ne notant aucune réaction anormale de la part de Gehrman Sparrow, Elland détourna le regard et inspecta les alentours.
– « Je ne sais pas exactement. Je sais seulement que les hautes sphères de l’Église des Tempêtes ont pu être impliquées.
« Et quelque temps avant cela, toutes les routes menant au Port de Bansy ont été suspendues. C’était peut-être un mauvais présage. »
Les échelons supérieurs de l’Église des Tempêtes ? Non, il devait s’agir des forces d’élite. Je soupçonne le pontife de l’Eglise des Tempêtes, cet Ange Échoué, d’avoir personnellement pris des mesures. Il a peut-être même utilisé un Artefact Scellé de rang 0. Après tout, il pourrait être confronté à un Roi des Anges, plus ancien que la Quatrième Époque, ainsi qu’à « Ses » descendants…
Klein hocha la tête et demanda posément :
– « Et quelle est l’issue ? »
Il n’était pas le moins du monde surpris que l’Église des Tempêtes ait attendu ces derniers jours pour intervenir au Port de Bansy. Même si les Punisseurs Mandatés avaient la réputation d’être irréfléchis et irascibles, il y avait tout de même un protocole à suivre face à des affaires sérieuses comme celle-ci. Ils devaient, par exemple, s’assurer des faits, évacuer une partie des résidents innocents ou encore fermer les zones maritimes environnantes. Tout cela nécessitait du temps.
Incapable de déchiffrer les véritables émotions de Gehrman Sparrow, Elland soupira et répondit en souriant :
– « Il n’y aura plus de Port de Bansy avant longtemps.
… Il fallait s’y attendre de la part de l’Église des Tempêtes… pensa Klein en claquant secrètement la langue. Il était encore plus curieux de connaître les détails.
Il voulait savoir si l’Ange Rouge Médicis avait été vu et s’il dormait vraiment près du Port de Bansy. Il voulait savoir si “Il” avait été éliminé par l’Église des Tempêtes et ce qu’il était advenu des natifs du Port de Bansy. Il voulait savoir ce que cela signifiait pour eux le fait de parler d’une manière aussi saccadée, et quels secrets cachaient le restaurant Le Citron Vert et le bureau du télégraphe.
Mais avec la destruction du Port de Bansy, il lui serait malheureusement difficile d’obtenir des réponses concrètes.
Les archives internes de l’Église des Tempêtes en feraient peut-être mention, mais Klein n’avait aucun moyen de le savoir, le rang du Pendu ne lui permettant pas d’accéder à des informations aussi confidentielles.
Je vais devoir faire de M. Le Pendu un demi-dieu de Haute Séquence avant de connaître les réponses à mes questions… soupira intérieurement qui lui dit sans changer d’expression :
– « Cet endroit est en effet très dangereux… »
Il n’avait pas terminé sa phrase que sa gorge le démangea et il fut pris d’une violente quinte de toux.
– « Vous êtes tombé malade ? » s’enquit Elland, perplexe.
Il pensait que, tout comme lui, Sparrow était un Transcendant au physique considérablement amélioré. Or les Transcendants comme eux n’avaient pour ainsi dire aucun risque de tomber malades avant d’être affaiblis par l’âge. Manifestement, il s’était trompé à son sujet.
Klein acquiesça laconiquement, sans donner d’explication.
Question sans intérêt ni signification… Il serait étrange qu’il ne soit pas malade après une bataille intense contre la Jeune fille aux Maladies… grommela Danitz, méprisant.
Elland eut un petit rire et dit :
– « Je peux vous recommander un Apothicaire bien meilleur qu’un hôpital ou qu’une clinique.
« C’est son job de Transcendant. Il tient une petite herboristerie dans la ruelle en diagonale du Théâtre Rouge. Il est connu pour vendre des produits pour hommes, mais ce n’est pas ce qu’il sait faire de mieux. »
Tous les Apothicaires développent-ils de tels remèdes ? C’est vrai. C’est l’une des activités pharmaceutiques les plus rentables. Il serait étrange de ne pas le faire si on en est capable…
Pour toute réponse, Klein hocha légèrement la tête.
– « Pourquoi n’ai-je jamais entendu parler de lui ? » demanda Danitz, surpris.
– « Il n’est à Bayam que depuis quelques mois. À quand remonte votre dernier séjour dans la Cité de la Générosité ? » demanda Elland avec un petit rire.
Au jour où j’ai pris votre fichu bateau… répondit mentalement le pirate.
Il réfléchit attentivement et se souvint qu’au cours des derniers mois, à part cette période, il était passé par Bayam une fois durant les premiers jours de ses vacances. Le reste du temps, soit il dérivait en mer à la recherche d’un trésor, soit il prenait du bon temps ailleurs, dans d’autres ports. Il était donc vrai qu’il n’était pas au courant des moindres changements survenus à la Cité de la Générosité.
– « J’ai déjà passé quelques jours à Bayam. Je suis allé plusieurs fois au Théâtre rouge, mais je n’ai jamais entendu parler de cet Apothicaire ! Cela ne peut signifier qu’une chose : ses médicaments pour améliorer la virilité ont un effet limité ! » répondit Danitz, obstiné et vantard.
Elland sourit et ne voulant pas débattre avec le grand pirate, il s’adressa à Gehrman Sparrow :
– « S’il s’agit d’une maladie ordinaire, l’Apothicaire ne demandera qu’un léger supplément. Et vous concernant, peu importe le prix. Le plus important, est de recouvrer au plus vite la santé. Aucun aventurier ne souhaite rester dans un état maladif. Cela représente un danger et la possibilité de devenir la cible de quelqu’un. Cela accroît le risque de perdre le contrôle ».
En effet, maintenir une bonne condition physique est un élément important pour un Transcendant. Mais le coût aussi est très important. Si l’Apothicaire réclame 1 000 Livres, autant acheter des médicaments à l’hôpital. Ou alors, je peux décrire ma maladie au vampire Emlyn White et lui demander de me préparer un remède ! Même si j’ai déjà 6 000 Livres d’économies et si je possède plusieurs caractéristiques Transcendantes, je dois y réfléchir. Il me faut aussi un objet occulte au pouvoir offensif mortel et je dois chercher des indices sur la formule de la potion de Haute Séquence… marmonna Klein en son for intérieur.
Dans ce monde mystérieux, il était impossible de mettre un prix sur les formules de potions de Haute Séquence, c’est pourquoi le jeune homme pensait acheter les indices pertinents.
Elland parti, il prit les 700 Livres et en donna 200 à Danitz.
Puis il mit son chapeau, prit sa canne, toussa, se moucha et sortit avec l’intention de prendre une calèche jusqu’aux environs du Théâtre Rouge.
Très curieux d’en savoir plus sur les remèdes de l’Apothicaire, Danitz se colla deux moustaches sur le visage, prit une casquette et lui emboîta le pas. Grâce aux conseils de Klein, il avait compris que dissimuler son visage derrière un foulard pouvait, à Bayam, attirer fortement l’attention, aussi s’était-il acheté de fausses moustaches.
…
Au moment où Klein entrait dans la ruelle située face au Théâtre Rouge, il vit sortir furtivement d’une herboristerie sans enseigne un homme qui, ayant aperçu quelqu’un, baissa la tête et s’enfuit.
Ne vous inquiétez pas. Nous ne devinerons pas ce que vous venez d’acheter… pensa le jeune homme.
Il toussa à deux reprises, accéléra le pas et entra dans la sombre herboristerie.
Balayant les lieux du regard, il fut surpris de constater qu’il connaissait le patron.
Celui-ci portait une robe noire qui ressemblait à celle d’un sorcier de village. Il avait une trentaine d’années, des cheveux noirs et des yeux bruns. Son visage était rond et son corps potelé. Ce n’était autre que l’Apothicaire joufflu qui, souvent, faisait preuve de sarcasme lors des réunions organisées par le vieil Oeil de Sagesse à Backlund. Klein l’avait un jour reconnu dans un cirque.
S’il ne se présentait plus à ces réunions, c’était parce qu’il avait quitté Backlund…
Klein toussa et fit deux pas en avant :
– « Préparez-moi un remède. »
Sur l’épaule de l’Apothicaire joufflu se tenait un hibou aux yeux ronds. L’homme et l’oiseau levèrent simultanément les yeux vers lui.
Après un bref examen, l’Apothicaire afficha un sourire chaleureux.
– « Mon ami, il fait froid dehors. Ne faites pas cela en plein air, même s’il est vrai que cela peut être assez excitant. »
Qu’est-ce que … D’abord désarçonné, le jeune homme comprit où il voulait en venir.
Lorsque je me battais avec Tracy, j’ai été influencé par ses pouvoirs de Plaisir. Le sang affluait vers mes régions inférieures et mes désirs ondulaient. Mon corps se vidait, ce qui a permis au mal de me frapper plus rapidement et plus facilement. La mer glacée lors de ma fuite n’était pas un problème car j’avais des sorts théurgiques qui me protégeaient. Mais sur le chemin du retour, le vent était plutôt froid. Il a aggravé ma maladie. En conclusion, cela ne ressemble-t-il pas à une maladie due à un plaisir pris en plein air ?
Le visage calme, Klein se contenta de le regarder sans répondre, attendant qu’il lui concocte le remède.
Danitz, qui avait peine à se retenir de rire, regarda dehors.
C’est quoi ce pu*ain d’Apoticaire ? Il n’est même pas capable de distinguer les maux libérés par la Jeune Fille aux Maladie ! pensa-t-il en jubilant.
N’obtenant pas de réponse, l’Apothicaire joufflu ouvrit quelques armoires, en sortit des herbes communes ou étranges, des carapaces d’insectes, les fourra dans un sac en papier et le lui tendit.
– « Mettez le tout dans de l’eau et laissez cuire une demi-heure. Buvez le liquide restant. 4 Soli. »
C’est un peu cher… pensa Klein en jetant un coup d’œil à Danitz.
Ce dernier sortit aussitôt l’argent.
Tandis que l’Apothicaire récupérait son dû, il se pencha, étouffa sa voix et dit avec un petit rire :
– « J’ai un médicament qui peut vous faire remarquer dans cette région. Celui qui contient de la poudre de momie. En avez-vous besoin ? Je vous garantis que vous serez satisfait.
« Vous êtes sans doute très fort, je sais, mais les hommes cherchent toujours à être plus forts. »
Klein secoua froidement la tête et rejeta la recommandation.
L’Apothicaire, déçu, se redressa, puis les jaugea du regard et demanda :
– « Êtes-vous tous deux des aventuriers ? »
– « Oui », répondit simplement Klein.
L’homme se frotta les mains :
– « J’ai une mission à vous confier, mais vous ne serez payés qu’après l’avoir accomplie. »
– « Combien ? » demanda Klein en se pinçant le nez.
– « 100 Livres ! » s’écria l’Apothicaire, le cœur serré par l’argent. « Aidez-moi à retrouver quelqu’un. Il s’appelle Roy King. C’est mon professeur. Il m’avait donné rendez-vous ici, mais je l’ai attendu des mois en vain et je n’ai aucun moyen de le contacter. »
– « Avez-vous un portrait (toux) ou une photographie ? » s’enquit Klein.
L’homme sortit d’une pochette secrète qu’il portait à la taille une photo qu’il lui tendit.
Elle représentait un homme relativement jeune. Ses cheveux étaient soigneusement peignés et il portait des lunettes. Il avait l’air très gentleman.
– « Votre professeur ? »
Je pourrais y croire si c’était vous le professeur…
L’Apothicaire eut une petite toux sèche :
– « Il paraît jeune, mais il a au moins soixante ans. »
Un pouvoir Transcendant ou un objet occulte ? Klein, qui réfléchissait, hocha la tête et demanda des précisions.
Après s’être assuré qu’il n’y avait pas d’objets qu’il pourrait utiliser pour procéder à une divination, il prit le sac en papier et quitta la boutique.
Lorsqu’il eut disparu de la ruelle, le hibou qui se tenait sur l’épaule de l’Apothicaire lui dit soudain :
– « Darkwill, ce type vous connaît peut-être. »